samedi 19 février 2011

Les Compères

Voilà un titre bien connu du cinéma français. Mais pour vous, lecteurs, qui espériez entendre parler du film culte qui porte ce nom, je risque de vous décevoir.

                  C’est  davantage une autre complicité qui m’interpelle, une complicité dont on parle moins et surtout peu.

                  Peut-être parce que cette complicité est différente de la première, parce qu’elle se situe non plus seulement devant la caméra mais surtout derrière. Parce que cette complicité n’est plus seulement le résultat d’une réflexion et d’un script mais parce qu’elle en est justement la base.

                  A l’instar des frères Dardenne, cette complicité amène ces deux inséparables à réaliser des films d’une rare intensités où la misère sociale, et en particulier du français « moyen », y est dépeinte sous ses traits les plus brutaux, les plus grotesques, les plus réelles mais surtout les plus touchants. Cette complicité se détache pourtant des frères Dardenne sur un point,  un point primordial qui lui donne son caractère unique, sa pointe d’humour piquante, noire et cynique, dans la lignée de Siné dont ils sont de fervents disciples.

Cette complicité n’est autre que celle qu’entretiennent Gustave Kervern et Benoit Delépine. Leurs noms ne vous diront peut-être rien et, connaissant leur profond dédain pour les paillettes, ils se complairont de cet anonymat. Pourtant, leur talent ne fait plus l’ombre d’un doute et le cinéma français actuel, moribond dans son ensemble, se réjouirait de les voir plus souvent.


(Benoit Delépine et Gustave Kerven)


Tout commença sur la seule chaîne française qui existe aujourd’hui à mes yeux, Canal +, au début des 1990. Benoit est alors un militant engagé, grand et chétif, qui tente vainement de gagner sa vie au travers des sketchs et des dessins qui révélaient déjà et son trait d’humour décalé et son fervent militantisme. Le succès n’est pourtant pas au rendez-vous. Gustave, un peu plus opulent, aux cheveux hirsutes et à la barbe ébouriffée, est, quant à lui, passionné de musique. C’est d’ailleurs vers cette dernière qu’il s’est tourné. Peines perdues et communes, voilà probablement ce qui les lia aux premiers abords. Canal + leur donne pourtant leur chance, dans une émission, dont l’humour cynique et obtus, leur servira de tremplin, Groland. Cet univers, inventé de toute pièce, régit par l’immoralité, le grotesque et  la méchanceté, n’est autre qu’une parodie subversive et provocante de notre beau pays. Des ingrédients qui pimenteront l’ensemble de leur œuvre.

Et Groland n’est qu’un début. Et même, un ensemble de débuts. Des débuts en tant que comédiens, des débuts en tant qu’écrivains et surtout le début d’une amitié qui bercera l’ensemble de leur œuvre.

 Leur talent éclot, en 2004,  sous le nom finlandais d’Aaltra. Ce film fait aujourd’hui partie des films incognito, ceux dont on ne parle pas mais sur lesquels il faudrait davantage se pencher. Gustave et Benoit y tiennent les rôles principaux, faute de moyens pour faire appel à des figures emblématiques du cinéma. A voir le film de plus près, recruter deux autres acteurs aurait terni l’intérêt du film. Aaltra est l’histoire de deux agriculteurs que tout distingue. Victimes du même accident causé par une benne produite par l’entreprise finlandaise Aaltra, ils vont, pourtant, se lier d’amitié afin de revendiquer des indemnités. L’histoire de ce film ressemble fortement à celle de ses réalisateurs que tout distinguait mais qu’une même cause, le cinéma, a réunie. Aaltra n’est pas qu’un premier film, il est surtout un premier succès artistique, un coup de maître, comme on aimerait en voir plus souvent. Le film, en noir et blanc, n’hésite pas à plonger le spectateur dans des plans longs et énigmatiques. Fidèles à leur façon de faire, Benoit et Gustave suggèrent, plus qu’ils ne dévoilent.  Teinté d’humour et de poésie,  le film tombera aux oubliettes mais le spectateur ne s’y trompera pas, il vient de découvrir un unique et même talent, à la naissance de deux auteurs.

Avida (2006), n’est qu’une confirmation. Un deuxième opus, en somme. Un sourd-muet et deux drogués tentent le coup de leur vie, en voulant enlever le chien d’une milliardaire russe, Avida. C’est un échec et Avida en profitera pour torturer ses tortionnaires et les faire assouvir ses dernières volontés.  Cruel et drôle, Avida est à l’image de ses réalisateurs, talentueux et différent. Toujours en noir et blanc, le film vous plonge dans un univers décalé et dérangeant. Différent de leur premier œuvre, Benoit et Gustave s’efforcent ici de percer le monde des désirs et du bizarre.

Il faudra finalement attendre Louise Michel (2008), puis Mammuth (2010) pour que le talent de  ces deux réalisateurs hors pairs soit véritablement reconnu. Une fois n’est pas coutume, s’est en s’inspirant des plus grands qu’on arrive à leur cheville. Louise Michel, un non familier de l’anarchisme à la française, en est une illustration divine. Sublimé par une actrice naturelle, drôle et émouvante, Yolande Moreau, ce film reprend les traits de caractère d’une femme militante et les applique à notre monde contemporain. Louise Michel, une ouvrière dont l’usine se délocalise, décide de mobiliser l’ensemble de ses collègues pour faire appel à un tueur à gage et assassiner leur patron indigne. L’humour noir, toujours aussi présent, dépeint cette fois-ci, une réalité sociale plus cruelle. Le film n’est que le reflet des dernières luttes ouvrières ayant amené à la séquestration de certains patrons. En noircissant le tableau d’un humour cynique, Benoit et Gustave plongent le spectateur dans un univers grossier et touchant que je conseille vivement.

Enfin, Mammuth (2010) est probablement leur chef d’œuvre, leur dernier film en date. Serge Pilardosse, surnommé Mammuth, un ouvrier, tout juste émérite, part à la recherche des papiers qui lui manquent pour toucher pleinement sa retraite. Après 60 ans de bons et loyaux services auprès   Interprété par Gérard Depardieu, Mammuth allie beauté, réalité et nostalgie. Nostalgie, car à travers l’allégorie de la retraite, ce film envoûte le téléspectateur dans une quête bien plus profonde, la recherche d’un passé, d’une jeunesse disparue, dissipée et oubliée dans les profondeurs de 45 ans de labeur. En cela, Mammuth est un film épatant.  Beauté car Mammuth est l’histoire d’un voyage. Un voyage au fin fond d’un paysage français méconnu, l’Ouest, dont le film, par ses plans longs et panoramiques, dévoile l’entier éclat. En cela, Mammuth est également un road-movie saisissant. Enfin réalité, car Mammuth, par sa démarche gauche, sa naïveté touchante, sa chevelure hirsute et son visage désœuvré n’est qu’une représentation de l’univers social auquel il appartient. Ne rencontrant que parias et autres paumés, Mammuth plonge le téléspectateur dans la classe sociale française la plus fragile, la plus crédule et surtout la plus saisissante. En cela, Mammuth est un chef d’œuvre. Et pour donner au film toute sa dimension politique, il n’est pas étonnant que ses auteurs aient choisi un sujet sensible, la retraite, et que celui-ci ait été distribué en salle au moment du débat auquel nous avons eu droit en France.

Encore une fois, Gustave et Benoît ne donnent aucune réponse. Il laisse libre-cours à l’imagination de leur téléspectateur sur ce que peut représenter la retraite, ce qu’elle constitue, pour des gens dont le travail, représente tout ce qu’ils ont de plus cher. A l’instar, de Yolande Moreau dans Louise Michel (et présente également dans Mammuth), Depardieu transcende le film comme si ce rôle n’avait été écrit que pour lui.

Je ne m’étonne pas aujourd’hui, à l’approche de la cérémonie des césars, de voir ce film nominé 3 fois, dans les catégories les plus prestigieuses (meilleur acteur, meilleur scénario original et meilleur film). Et si le vote ne tenait qu’à moi, je lui décernerai les trois.



Diego C.

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