jeudi 17 février 2011

Incendies



                  J’adore découvrir de nouveaux artistes. Parce que s’ils sont bons, alors je sais, que je leur consacrerai vraisemblablement l’ensemble de mon temps. Le problème est que je n’en découvre finalement peu qui vaillent le coup. Non seulement parce qu’il est difficile de juger un artiste que l’on ne connaît pas, sur une seule œuvre, même si celle-ci est remarquable, mais surtout parce que rares sont les artistes qui arrivent à véritablement susciter mon émerveillement.

Mais là, j’ai découvert une perle rare. Un film dont je me souviendrai toute ma vie. Nous sommes au mois de janvier 2011 et je sais déjà quel sera le film de l’année et de mon année à coup sûr. Mais le plus important à mes yeux va plus loin, j’ai découvert un vrai talent. Je n’ai pas encore vu d’autres films de vous mais je peux déjà dire que je vais m’empresser de les regarder.

Paradoxalement, Incendies n’a été pour moi qu’une source d’air cinématographique pur.  Je l’aurai pourtant intitulé Ouragan. Un ouragan qui rafle tout sur son passage. En 3 mois le film a remporté pas moins de 11 prix, dans tous les continents (le prix du meilleur scénario à la Semaine du cinéma international en Espagne à Valladolid ou encore le Grand Prix du Jury au festival de Varsovie, pour ne citer que les plus prestigieux). Et encore, cette tornade n’a pas fini de faire parler d’elle. Les « Césars » américains, référence en la matière l’ont sélectionné dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. A chaque festival auquel il a participé, le jury fut subjugué. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de savoir qu’à chaque nouvelle participation à de telles manifestations, certains distributeurs demandaient encore d’en acquérir les droits de diffusion, regrettant de ne pas l’avoir fait plus tôt. Pas mal pour un film qui, à peu de choses près,  a fait de son scénario sa seule publicité. Mais quelle publicité !

Ce film est en premier lieu un cours d’histoire initiatique sur un pays qu’on ne connait pas suffisamment,  en proie à un conflit qu’il subit, le conflit israélo-palestinien et à des tourments qui lui sont propres (la guerre civile entre autre), le Liban. Initiatique, car Incendies n’a pas vocation à prendre position sur des conflits dont l’histoire et les conséquences le dépassent. Le film se contente de relater l’horreur de ce pays dans les années 1970. Le film reste d’ailleurs très évasif sur le pays mais y dépeint suffisamment la détresse pour susciter notre curiosité.

Et puis le scénario entre en scène ! A la lecture du testament de leur mère, Nawal Marwan, ses jumeaux Simon et Jeanne Marwan se voient livrer deux enveloppes : l’une destiné à leur père qu’ils croyaient mort, l’autre destinée à leur frère dont ils ignoraient l’existence. Pas le temps de souffler ou de s’installer confortablement dans son fauteuil, le film démarre tambour battant sur la BO triste et vibrante de Radiohead, You and Whose army (pratiquement la seule musique du film) et une scène remarquable, celle d’un enfant, futur combattant dont l’on rase la tête. Le spectateur pénètre alors dans une expérience cinématographique de grande classe. Deux heures d’une expérience humaine bouleversante et douloureuse qui n’a finalement qu’un seul but, transmettre un message de paix, là où elle n’existe plus depuis près de quarante ans.

Le film est aussi un hommage à la femme. La femme persévérante, déterminée à l’image de la mère, personnage remarquable et remarquée, fil conducteur de l’ensemble de cette œuvre, qui, en dépit des tourments et vicissitudes qu’elle a vécus, se bat, éperdument. Un combat qui semble voué à l’échec dès les premières minutes mais que la persévérance de cette femme pousse à poursuivre et soutenir inlassablement.

C’est aussi la quête d’un passé. Un passé que les jumeaux découvrent au fur et à mesure du film. Un passé douloureux. Une introspection dans la vie d’une mère dont ils ne connaissent qu’un pan de la vie.

Mais la beauté du film réside en sa mise en scène. Car l’histoire est découpée en deux parties. Celle de la mère et celle de ses enfants. A aucun moment, le spectateur n’est perdu. Les deux histoires s’entremêlent mais le réalisateur donne toujours une longueur d’avance au spectateur en lui dévoilant le passé de la mère. Il connaît déjà certaines réponses que se posent les enfants mais suit leur quête pas à pas. Jusqu’à la fin, le spectateur pense avoir un coup d’avance. Du moins, le réalisateur le lui fait croire. Jusqu’aux cinq dernières minutes, vous serez plongé, hypnotisé par cette histoire, jusqu’au moment fatidique, où, vous rendrez compte, avec effroi, que vous n’êtes pas plus avancé que les jumeaux, parce que vous vous apercevrez que ce n’est pas un incendie en tant que tel qui cause le plus de dégât sinon le souffle qui le fait voyager. Grandiose !


Diego C.

1 commentaire:

  1. Un billet magnifique Diego!
    Ce film est tout bonnement une bombe a retardement! Le spectateur est happé par l'horreur, la cruauté ordinaire qui pèse sur ceux qui n'ont pour seule solution que la fuite. Un film qui ronge, qui bouleverse, une interprétation poignante de Lubna Azabal, dont l'on avait pu en apprécier la justesse dans le trés bon "EXIL" de T.Gatlif, on remarquera aussi la grande qualité de la B.O!

    Je commente cet article longtemps après sa publication, parce que j'ai pu assister par hasard ce week end à une diffusion du film en plein air dans un parc de Montréal. Une nouvelle fois, ce film m'est apparu comme un travail fondamental, de l'exil, en passant par le poid du secret, le poid de la vérité, l'oedipe et l'héritage, ce film pointe et touche là ou l'âme des Hommes préfère parfois se contenter du silence ou d'un aveuglement volontaire...Mais nous spectateurs, nous avons les yeux ouverts et à en croiser les regards de ceux qui ont pu assister à la projection, ce film n'a pas fini d'hâtiser les flammes "des" incendies.. Sentez le souffle chaud enlasser votre coeur, sec, d'avoir trop pleuré. Il est trop tard.

    Paul

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