vendredi 1 avril 2011

Bad Lieutenant



Il est difficile de faire d’un défaut ou d’un vice, un objet culte. Un objet artistique. Probablement parce qu’une telle démarche nécessite un recul atypique et une lucidité franche. Et, qui ne serait pas dégoûté de voir son portrait dépeint sous ses traits les plus obscurs parce que les plus authentiques !

Au cinéma, un acteur et un réalisateur se sont prêtés au jeu, Harvey Keitel et Abel Ferrara. La tâche n’était pas aisée quand on connaît l’assuétude qui les avilissait.

Bad Lieutenant (1993) est l’histoire d’un flic corrompu, qui accumule les dettes et tente d’assouvir ses appétences perverses par le sexe ou la drogue. En enquêtant sur le viol d’une nonne dont la tête des agresseurs est mise à prix, le Lieutenant y voit une bonne occasion de se racheter. Mais, la drogue aura probablement raison de sa volonté.

(Harvey Keitel)

Bad Lieutenant n’est pas simplement un film comme les autres. Il n’est pas un policier étouffant, sombre et malsain. Ou du moins, il l’est, mais alors il n’est pas seulement un film. Il est une autobiographie.

Parce qu’Abel Ferrera et Harvey Keitel sont tous deux drogués jusqu’à la moelle lorsqu’ils réalisent le film. Parce qu’ils sont tous deux alcooliques et dépravés et parce que chaque prise de drogue dans le film est authentique et a vraiment été ingurgitée par l’acteur, alors oui, Bad Lieutenant est bien plus qu’un film, c’est une catharsis.

La ville de New-York y est présentée sous traits les plus obscènes. On ne la reconnaît pas. Seuls les proxénètes, prostitués, drogués et mécréants en hantent les rues le soir. Un peu exagéré me direz-vous. Pas tant que ça pourtant. Le panoramique qu’offre Abel Ferrara des rues new-yorkaises est d’une rare intensité, d’une authenticité saisissante, tout simplement parce qu’il filme un univers qu’il connaît sur les doigts de la main. Un univers qui a des allures de descente aux enfers dans les abîmes les plus sordides qu’un homme puisse connaître.

Parce qu’Abel Ferrara ne filme pas Harvey Keitel en tant qu’acteur mais en tant qu’homme. Un homme rongé par la solitude et qui n’a pas de nom (à aucun moment le nom du personnage d’Harvey Keitel est cité dans le film), un homme qu’il filme dans un univers familier et côtoyé. Il n’est pas étonnant que ce soit même la propre fille d’Harvey qui joue le rôle de la fille du lieutenant. Pour se rapprocher davantage encore de ce qu’est sa réalité.

Jack London avait déjà entrepris cette démarche en décrivant l’alcoolique qu’il était dans John Barleycorn. A l’instar de ce livre, Bad Lieutenant fait aujourd’hui figure de chef d’œuvre. Mais, je pense sincèrement qu’il s’agissait davantage, dans les deux cas, d’un appel au secours.

« Bad Lieutenant est un film pour lequel j’ai la plus grande admiration. On y voit comment la ville peut réduire quelqu’un à néant et comment, en touchant le fond, on peut atteindre la grâce. C’est le film new-yorkais ultime » Martin Scorsese.

Diego C.


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